Les mots font leur histoire

Les mots font leur histoire

Quand les lettres et les mots se croisent, se découvrent et se rencontrent il y a toujours des histoires merveilleuses. Il y a de toi dans cette histoire…il y a de moi aussi, un peu. Un paysage d’hiver où la neige recouvrait la plupart des terres et des habitations. Le coton blanc et froid étouffait le bruit des pas des chevaux. Minuit avait sonné depuis déjà quelque temps en cette nuit d’hiver de l’an 1250. La plus grande partie du village de Sévignac dormait. La plus grande seulement car un peu à l’écart, l’intérieur d’une grande bâtisse était illuminée. La maison était pourvue d’un étage ce qui la distinguait de la plupart des autres habitations. De cette grande maison, seul le rez-de-chaussée était allumé. Depuis l’extérieur on devinait des voix mais il fallait être à proximité et prêter l’oreille. Tous les occupants portaient de longues capes de berger d’un tissu sombre, qu’on devinait marron bure. Des capuches recouvraient la plupart des têtes. Dans le coin de la pièce principale un feu réchauffait les occupants. L’âtre crépitait. Les ombres jouaient avec les lumières des flammes du feu et parfois l’on entrevoyait les visages. Neuf personnes se tenaient là debout tout autour de la table. Etant donné l’heure avancée et l’endroit isolé l’on pouvait imaginer aisément l’importance d’une telle réunion. −Pouvons-nous commencer ? −Nous n’attendons plus que Théobald ! Quelqu’un a-t-il de ses nouvelles ? Tout à coup la porte grinça et quelqu’un vêtu de bure de la tête aux pieds entra. L’individu portait sous son bras un grand paquet entouré d’une étoffe brune. Théobald salua ceux qui se tenaient là et la réunion commença. Installé à l’extrémité de la table il prit la parole : −Louis le Saint m’a missionné alors qu’il est en dehors du royaume pour jeter les bases de l’instruction du français. C’est un grand chantier qu’il m’a confié. Nous nous réunissons aujourd’hui autour d’un texte fondamental qui va poser les premières pierres de notre alphabet. Nous allons quitter officiellement la langue latine pour la langue du royaume, le roman. Théobald enleva l’étoffe brune du paquet qu’il avait apporté. Il s’agissait là d’un vieux manuscrit qui avait traversé les époques. −Quel est ce document ? demanda l’un des hommes qui se trouvait là. −Il s’agit des serments de Strasbourg que m’a remis en personne sa majesté Louis le Saint. Chaque homme qui se trouvait là, savait que dans ce manuscrit Louis le Germanique et Charles le Chauve, petits-fils de l’empereur Charlemagne, s’étaient prêté serment d’assistance mutuelle face à leur frère aîné Lothaire contre lequel ils étaient en guerre. Ce manuscrit avait permis l’année suivante, le partage de l’empire de Charlemagne. Les hommes savaient également qu’il s’agissait du plus vieux document officiel où figurait la langue tudesque et la langue romane, langues qui permettaient de se faire comprendre facilement des soldats. A l’annonce de la nature du document qu’il tenait entre les mains, les yeux des hommes qui se trouvaient là se mirent à briller et le précieux document circula entre toutes les mains. Les hommes se mirent au travail pour commencer à recenser les mots du manuscrit. Dans un premier travail, en explicitant chaque mot du manuscrit par un ensemble d’autres mots, ils bâtissaient peu à peu un lexique.
La nuit fut courte mais très productive car au lever du jour l’ensemble des mots du précieux document avait fait l’objet d’une explication. −Mes chers amis, sa majesté va être fière de votre travail et je vous remercie en son nom fit Théobald. Mais notre travail ne s’arrête pas là ! Chacun de vous va repartir avec pour mission de développer d’autres termes. Nous allons créer neuf domaines que chacun d’entre vous alimentera par les mots usuels. Je rassemblerai l’ensemble de vos mots au printemps et nous travaillerons ensemble à la rédaction d’un grand lexique que nous diffuserons à l’ensemble du royaume. Cette entreprise est bien entendu secrète et vous devez prêter serment pour la réussite de cette entreprise.
Ainsi fut fait. Chacun travailla activement dans son abbaye pendant ces longs mois de rude hiver. La neige recouvrait les routes et les grands déplacements étaient devenus impossibles, chacun était cantonné chez soi. Si en dehors du royaume les croisés s’activaient pour consolider les forteresses d’Acre, de Jaffa et de Sidon, le silence régnait dans les grandes campagnes du royaume de France. Il avait tellement neigé que les champs cet hiver-là étaient d’un blanc pur qui contrastait avec les bâtisses sombres disposées alentour.
Hermance était l’un des neuf. Il vivait à Sillons-sur-Armances. Il n’était pas moine mais il habitait l’abbaye qui l’avait recueilli tout petit. Le soir venu à l’abbaye, il quittait son service pour se consacrer pleinement à sa tâche de rédaction. Il complétait le domaine des arts et il avait fort à faire car ce domaine était déjà riche de mots. Alors qu’il était à son pupitre dans la grande bibliothèque il entendit un bruit et releva la tête. Devant lui se trouvait un individu vêtu d’une robe de bure qui joignait ses mains comme pour être en prière. Une large capuche recouvrait son visage et Hermance ne pouvait le dévisager. Si sa mission secrète était découverte, il savait qu’il risquait non seulement d’être renvoyé, mais aussi de faire échouer une des grandes réalisations pour l’avenir du royaume. Il prit alors l’ensemble des pages qui se trouvaient devant lui et les glissa à l’intérieur d’un ouvrage qui se trouvait sur son pupitre.
L’individu continua d’approcher du pupitre et releva sa capuche. Hermance découvrit les traits d’une jeune femme brune. Ses yeux étaient verts et elle arborait un joli sourire.
−Vous n’avez pas le droit d’être ici ! lui cria-t-il furieux. −Je crois qu’à cette heure avancée vous ne devriez pas non plus être ici lança-t-elle, toujours en souriant.
Ermeline avait depuis sa plus tendre enfance fréquenté les environs de l’abbaye et avait eu bien des fois le loisir d’observer Hermance alors qu’il effectuait des travaux à l’extérieur de l’abbaye. Du plus loin qu’elle s’en souvienne elle l’avait toujours connu. Le temps avait fait son oeuvre et elle s’était éprise de lui tout en se jurant secrètement de lui révéler un jour sa flamme.
Profitant ce soir-là du couvre feu lié à la fête de la sainte Barbe, elle s’était glissée depuis les cuisines jusqu’à la grande salle située dans la partie supérieure de l’abbaye. Elle continuait d’avancer vers le jeune Hermance qui ne savait plus quoi faire. En s’approchant, elle lui prit la main et la porta à ses lèvres pour l’embrasser. Hermance fut troublé à la fois par son audace et par le charme mystérieux qu’elle dégageait. Il ne dit mot, comme hypnotisé par ses yeux verts qui fixaient les siens comme pour l’ensorceler. Il s’en suivit un de ces moments de silence où un régiment d’anges auraient pu passer en armure sans que personne ne fut éveillé par l’entre métallique ou le bruit des pas cadencés.
Il la prit dans ses bras et l’embrassa. Une passion naquit, enflammée, sauvage.
Chaque soir pendant trois mois ils se retrouvèrent dans le silence de la grande salle s’ouvrant leurs coeurs, découvrant leurs corps et s’abandonnant l’un à l’autre dans le plus grand secret.
Les prairies reverdirent et se garnirent de jolies petites fleurs blanches. La rosée du matin était salvatrice après ces longs mois d’hiver. Le long des herbes vertes, les petites perles d’eau semblaient jouer avec le chant des grives musiciennes en descendant le long des tiges. A l’arrivée du printemps Hermance retourna à Sévignac afin de participer à la mise en commun des travaux. Chacun des dix arrivait des quatre coins de France. Ils se réunirent comme au premier soir où ils avaient fait connaissance. Théobald anima la première réunion. Pendant plusieurs semaines, ils travaillèrent la mise en forme des définitions que chacun avait rédigées. Il fallait non seulement mettre au propre ce que chacun avait écrit mais également en uniformiser le fond et la forme. Chacun à tour de rôle vint présenter le fruit de son travail. Chaque intervention fut récompensée par des applaudissements.
Après cette grande mise en commun Théobald proposa de choisir un ordre pour l’organisation des mots du lexique. Ils affichèrent sur les murs un exemplaire de chaque lettre qui composait les mots. Elles étaient au nombre de vingt-six. Les dix hommes qui jusqu’alors avaient fait preuve d’une attention et d’un respect exemplaire ne parvinrent pas à se mettre d’accord. Chacun avait son idée sur l’ordre à donner aux lettres de l’alphabet.
Il était presque minuit quand Théobald pour calmer les esprits, ramassa les lettres disposées au mur, en fit une pile qu’il posa sur une table à l’étage. En redescendant il prit la parole pour leur proposer de poursuivre le lendemain après une nuit de repos bien méritée.
Ils dormirent ce soir-là devant l’âtre encore rougeoyant. Hermance fut troublé pendant son sommeil par quelque chose qui lui touchait l’épaule. Il se réveilla et s’aperçut que quelqu’un était agenouillé près de lui. C’était Ermeline. Elle avait fait le long trajet pour le rejoindre. Seule à l’abbaye elle s’était langui de son absence et n’avait eu qu’une envie: partir à sa recherche. Elle s’était mise en route bravant tous les interdits et les dangers. Elle l’avait enfin retrouvé!
Hermance se leva sans bruit et ils grimpèrent à l’étage. La table se trouvait sur le chemin des deux amoureux. Dans la passion qui les anima ce soir-là, les feuilles volèrent dans toute la pièce et par un étonnant hasard, se posèrent chacune sur une marche de l’escalier. Au petit matin ils n’étaient que neuf à s’éveiller auprès de la cheminée. Hermance avait filé avec Ermeline pour vivre enfin leur amour au grand jour.
La petite histoire voulut que l’ordre dans lequel étaient disposées les feuilles dans l’escalier fut celui retenu le lendemain pour la place des lettres dans l’alphabet. Et c’est ainsi que le A précéda le B, le C précédant le D, que le mot aube apparut avant le mot soir. Ainsi fut-il du calme avant la tempête…

La préface…

La préface…

Au creux de tes mains je devine ce livre, ce fameux livre qui a pris la place dans ton sac. Ce livre est de moi je l’avoue. Je sais que tu bientôt tu l’auras dévoré d’une seule traite et que tu liras en moi comme dans un livre ouvert… Ce livre n’est pas seulement constitué [...]